Abbaye de Cluny, la belle disparue

Cluny est un lieu où il n’y a pas à voir, au sens propre du terme, mais à imaginer l’Histoire.

Le visiteur d’aujourd’hui ne peut voir que les vestiges de ce qui fut l’édifice religieux le plus important de tout l’Occident à l’époque médiévale, et son esprit doit reconstruire la Major Ecclesia, la plus grande abbatiale du Moyen-Âge.

Les 3 clochers de Cluny

Les 3 clochers de Cluny – par Frédéric Curnier-Laroche – Licence © tous droits réservés

 

Les fondations

C’est en septembre 909 que commence l’histoire de l’abbaye de Cluny. Par une charte rédigée aux assises de Bourges, Guillaume Ier dit le Pieux (duc d’Aquitaine et comte de Mâcon et de Bourges), donne « la villa de Cluni et toutes possessions attenantes » à Bernon, abbé de Baume-les-Messieurs (Jura). A la demande de Guillaume, Bernon y fonde un monastère de douze moines, selon la règle de saint Benoît, et consacré aux apôtres Pierre et Paul.

A cette période, la France est sous la dynastie carolingienne, mais l’autorité royale est affaiblie. L’Eglise est prise dans le système féodal, en particulier au travers de la dîme, cet impôt que les paysans doivent aux abbés. La crise est également morale, la règle de St Benoît est délaissée, ce sont des laïcs qui choisissent les abbés parmi les riches familles.

La charte fondatrice de Cluny permet précisément à l’abbaye d’être directement rattachée au Pape, et permet à ses moines de désigner eux-mêmes leur abbé lorsque Bernon décèdera. Les moines de Cluny s’engagent à la miséricorde envers les pauvres, les indigents, les étrangers et les voyageurs.

 

enluminure de la charte de Cluny « Parce que je désire pourvoir à mon salut pendant qu’il en est temps, que moi, Guillaume, par le don de Dieu, comte et duc, j’ai estimé raisonnable de destiner au profit de mon âme une petite portion des biens temporels qui m’ont été accordés… Je fais ce don en stipulant qu’un monastère régulier devra être construit à Cluny en l’honneur des Saints Pierre et Paul, dont les moines vivront en communauté selon la règle du bienheureux Benoît« (Extrait de la charte de donation des terres de Cluny en vue de la fondation de l’abbaye)

 

La construction de l’abbaye est achevée en 927, mais son influence croît rapidement, le nombre de moines augmente, et il faut agrandir l’église.

Cluny II est consacrée en 981 et reçoit des reliques des apôtres St Pierre et St Paul.

Puis un projet grandiose est lancé avec Cluny III, dont la construction débute en 1088 : il s’agit d’une église capable d’accueillir un millier de moines. Gunzo, un vieux moine, aurait vu St Pierre en songe, qui lui aurait présenté les plans en lui demandant de convaincre l’abbé Hugues de Semur d’édifier cette nouvelle abbaye.

   

Ce sera la major Ecclesia, dédicacée en 1130, mais dont l’immense avant-nef ne fut définitivement achevée qu’en 1220. C’était un édifice énorme et splendide, avec un grand narthex, cinq nefs, un double transept et un chœur à déambulatoire et chapelles, le tout couronné par six clochers puissants. L’édifice mesurait 187 m de long et 25 m de large, avec une hauteur de voûte de plus de 30m. Le chœur se terminait par une abside semi-circulaire entourée de 5 chapelles également semi-circulaires. C’est la plus grande église romane et le plus vaste édifice religieux d’Occident jusqu’à la construction, trois siècles plus tard, de St Pierre de Rome.

plan de l'abbatiale Cluny III

plan de l’abbatiale Cluny III (domaine public)

Le plan de l’édifice est en forme de croix archiépiscopale (ou croix de Lorraine) : il y a deux transepts.

 

Reconstitution de l'abbatiale de Cluny (dessin)

Reconstitution de l’abbatiale de Cluny (domaine public)



Le grand transept, dont un bras subsiste aux trois quarts (ci-contre en grisé), était long à lui seul comme une petite cathédrale. Il était surmonté de trois clochers : Le «Clocher de l’eau bénite» surplombe toujours le bras sud, le «Clocher des Bisans» surplombait le bras nord, et enfin le «Clocher du chœur», le plus imposant de tout l’édifice, couronnait la croisée centrale.

 

De l’essor au déclin :

Pendant l’abbatiat d’Odon (927-942), Cluny obtint le droit de battre monnaie et un grand nombre de monastères bénédictins se rassemblèrent sous son autorité. Odon mit en place la bibliothèque et l’école.

Les reliques accumulées depuis un siècle font de Cluny un lieu d’asile, protégé sur 30 km aux alentours. Les résidents de cette « terre sainte » se voient comme serviteurs des hommes de Dieu : les plus humbles travaillent sur leurs terres ou dans leurs officines, les hommes les plus riches se dépouillent d’une partie de leurs biens au profit des moines. Les marchands s’associent aux moines ce qui favorise l’orientation de l’abbaye vers l’économie monétaire.

Les abbés de Cluny insistent sur l’office divin, l’hospitalité et l’aumône. Ils se tiendront à l’écart des croisades et de l’Inquisition.

En ce début de millénaire, Cluny est au centre d’un vaste réseau d’abbayes sur les chemins de Compostelle. Il y eut jusqu’à 1400 monastères et prieurés dépendants de Cluny, répartis dans toute l’Europe. L’expansion de Cluny dans toute la Chrétienté latine était due à son émancipation du pouvoir seigneurial et épiscopal. Sa situation géographique était également favorable, à la charnière entre royaume de France et Empire, entre Europe du Nord et du Sud.

carte des sites clunisiens historiques en Europe

carte des sites clunisiens historiques en Europe (source : clunypedia.com)

Du Xe au XIIe siècle, l’abbaye a constitué un foyer intellectuel et culturel important. C’est Odon qui rassembla les premiers manuscrits de la bibliothèque, qui comportait 570 ouvrages au XIIèmesiècle. On y trouvait des textes latins (Tite-Live, Ovide, Cicéron), mais aussi des livres de médecine ou de musique. Cluny était un grand centre d’études. Les disciplines enseignées au Moyen-Âge figuraient sur les chapiteaux du déambulatoire de l’abbatiale.
L’architecture et la sculpture religieuse du XIIème siècle sont largement inspirés de l’abbaye de Cluny. Ainsi, en Bourgogne, quelques superbes églises sont dites de « style clunisien » : la basilique du Sacré-Cœur de Paray-le-Monial, la basilique Saint-Andoche de Saulieu, le prieuré de La Charité-sur-Loire, la cathédrale d’Autun… Dans ces églises, les hautes nefs sont voûtées de berceaux brisés soutenus par des doubleaux, permettant une haute élévation des murs. L’élévation en trois étages est typiquement clunisienne. Le transept, de la même hauteur que la nef, est couronné par un clocher central surmontant la coupole. Au début du XIIème siècle, la sculpture à Cluny a joué un grand rôle dans le développement de la sculpture romane en Bourgogne. Le grand portail de Cluny III n’existe plus, mais les chapiteaux conservés montrent un art en plein épanouissement. On y trouve les premières grandes œuvres historiées, sculptées en ronde-bosse et en haut-relief.
A Cluny, l’architecture de l’abbaye comportait plusieurs caractéristiques qui ouvrirent le chemin à l’art gothique : la hauteur, la croisée d’ogives, les arches pointues, la décoration des murs et des voûtes.

Cependant, à partir du XIIIème siècle, l’abbaye connaît des difficultés financières : mauvaise gestion des terres, construction de la 3ème abbatiale, charité aux pauvres et accueil d’hôtes prestigieux (comme le pape Innocent IV venu rencontrer St Louis, roi de France, en 1245), … mettent peu à peu la gestion en péril.
Après une croissance considérable de leur ordre, les moines clunisiens deviennent aussi riches et peu disciplinés que leurs prédécesseurs. Des conflits entre les prieurés apparaissent, l’autorité du pape se fait plus pesante … Au XVème siècle, les moines sont beaucoup moins nombreux. Les bourgeois de Cluny s’opposent aux moines à plusieurs reprises. Par la suite, les guerres de religion viennent encore affaiblir l’abbaye.

A la Révolution, l’abbaye devient bien national. Les tapisseries, le mobilier et les objets de culte sont vendus. L’abbaye servira de carrière de pierres pour les maisons du bourg.

 

Cluny aujourd’hui :

Aujourd’hui, il reste moins de 10 % des bâtiments initiaux. De la major Ecclesia, il ne subsiste que le bras sud du grand transept avec le clocher de l’Eau bénite, et celui du petit transpet avec la chapelle Jean de Bourbon. (voir parties grisées sur le plan ci-dessus) On peut voir aussi les restes des tours barabans, qui encadraient le portail, et les bases de certains chapiteaux qui ont été dégagées. Quelques chapiteaux sont conservés au musée Ochier et au musée du farinier.
 

Cluny - Vestiges des piliers

Vestiges des piliers de l’abbaye Major III
Licence : © Mon coin de Bourgogne

Cluny - Le transept

Le transept de la Major Ecclesia – Cluny III
Licence : © Mon coin de Bourgogne

 

Il reste également des bâtiments construits aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment un cloître, des dépendances, bâtiments communs et écuries.
 

 

L’ancienne abbaye et ses différentes parties font l’objet de plusieurs classements aux Monuments historiques. De plus, l’abbaye abrite depuis 1901 un centre Arts et Métiers ParisTech formant des ingénieurs des Arts-et-Métiers.

 

Les technologies modernes au service de l’histoire architecturale de Cluny

Grâce aux technologies développées par le centre d’Arts et Métiers, la visite de l’abbaye de Cluny permet depuis 2010 d’accéder à une recomposition virtuelle de l’Abbaye sous forme d’un film en 3D. Si un drone avait pu survoler Cluny, voici ce qu’il aurait vu :



Extrait du film « Maior Ecclesia« , Cluny en 3D

 

Le même type de technologies agrémente différents points de la visite.

Du haut de la Tour des Fromages, un dispositif de réalité augmentée permet au visiteur de redécouvrir la grande église abbatiale Cluny III dans son ensemble et dans le contexte de la ville d’aujourd’hui… Comme si elle était toujours là, dans son intégralité, côtoyant les voitures et les rues goudronnées !

 

Plus d’infos sur le site de l’Office de Tourisme de Cluny : http://www.cluny-tourisme.com
Possibilité de billet jumelé, pour la visite du palais Jean de Bourbon (avec le musée d’Art et d’archéologie) et les vestiges de l’Abbaye.
A partir du 2 mai 2012, visite de Cluny Médiévale, un seul billet pour 3 visites : le palais Jean de Bourbon (avec le musée), la tour des fromages, le bourg médiéval et ses maisons romanes et gothiques.

Sans oublier les visites complémentaires pour la ville de Cluny : l’Hôtel-Dieu du XVIIIème siècle (chapelle, deux salles des malades, bâtiments communs avec apothicairerie), le haras national du XIXème siècle, et les deux églises.

Il est possible de louer des tablettes tactiles à l’office de tourisme pour une visite guidée virtuelle avec Cluny-Vision

 

Exposition « Cluny 1120, au seuil de la Major Ecclesia »

Du 28 mars au 2 juillet 2012, le musée national du Moyen Âge – musée de Cluny, à Paris, organisait l’exposition « Cluny 1120, au seuil de la Major Ecclesia » en collaboration avec le musée d’art et d’archéologie – musée Ochier, à Cluny.

Cette exposition, principalement consacrée grand portail de l’église abbatiale Cluny III (détruit à l’explosif le 8 mai 1810), réunissait pour la première fois des fragments lapidaires éparpillés en France et à l’étranger, et présentait une reconstitution monumentale à l’échelle 1 de ce qui était autrefois l’entrée principale de la plus grand église du monde.

Vous pouvez visionner un aperçu de cet évènement en suivant cette vidéo :

 

Situer l’abbaye de Cluny

 

 

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Page mise à jour le 1 novembre 2023

4 réponses sur “Abbaye de Cluny, la belle disparue”

  1. Lilirose dit :

    Bonjour
    Nous revenons d’une visite à Cluny et notre seul commentaire sera : « quel malheur » d’avoir détruit un si bel édifice.
    Et aujourd’hui qu’attendent les mécènes catholiques et autres afin de reconstruire cette major ecclesia ?
    Une souscription devrait être organisée par nos politiques et un plan de reconstruction pluriannuel mis en place.
    je serais la première a venir y travailler bénévolement
    Cordialement

  2. Brigitte dit :

    J’ai toujours été fan d’histoire. Les antiquités me fascinent. J’aime beaucoup visiter les monuments historiques. Mais je trouve que c’est triste qu’ils soient presque tous détruits. Ce monastère est vraiment très beau. Il reflète l’histoire d’antan, celle que l’on n’a pas vécu. Je pense que l’on devrait bien prendre soin de ces monuments pour nos descendants. Ainsi, ils pourront voir les merveilles des siècles passées.

  3. mamimijane dit :

    j’aime beaucoup me balader sur votre site,je le trouve très intéressant.
    je vois que vous avez installé une icône pour que nous puissions photocopier les contenus de vos pages,
    je ne suis pas dégourdie et si vous pouviez me dire comment faire ,ça m’aiderait beaucoup.
    je vous remercie ,
    mamimijane

  4. hourriez dit :

    j’aime les moines avec leur calvitie aigüe xoxo

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